Base militaire de Quantico, États-Unis, octobre 2008
Diane avait étalé sur son bureau différentes photos de famille confiées par Claire Morgan. Elle n’y cherchait rien de particulier, si ce n’était une sensation, peut-être. Elle se saisit de celle représentant Paul, le frère tant aimé. Il devait avoir une quinzaine d’années sur le cliché. En maillot de bain, assis sur le sable, lèvres serrées, il souriait, fixant l’objectif en plissant des paupières sous la vive lumière, se protégeant les yeux de sa main en visière. Diane comprit aussitôt le commentaire de Claire, « un lutin ». Le visage à la fois sérieux et doux, des membres bien trop grêles pour le volume de sa tête, des épaules maigres. Elle passa ensuite à une photo de Laura envoyée à ses parents lors de son tour du monde, la dernière selon Claire, celle que Diane allait confier à Erika afin que son logiciel la vieillisse. Elle devait avoir environ vingt-cinq ans et posait dans une ample robe de cotonnade qui ne dissimulait pas son extrême maigreur. En arrière-plan, une végétation luxuriante et la silhouette élégante et compliquée d’un temple asiatique. Elle tenait son chapeau de paille à la main et esquissait un sourire forcé. Tout dans la posture impliquait l’effort. Celui de rester debout le temps de la photo, celui d’envoyer à ses parents une preuve de sa survie. Diane détailla le visage émacié, les cheveux châtains mi-longs, les yeux rendus plus immenses par le creux des joues.
Cette femme était-elle vraiment une tueuse de la pire espèce ? Diane ne doutait plus qu’elle était la ravisseuse des enfants. Se pouvait-il que cette femme au visage fiévreux d’anorexique ait massacré des couples, des femmes qui évoquaient sa mère, avec une fureur mêlée d’une parfaite minutie ? Se pouvait-il que Margaret Faulk et son mari aient abusé de leur fille aînée, et pourquoi pas de leurs deux autres enfants ? Cependant, Claire semblait éprouver une véritable affection pour ses parents.
Un détail, un détail crucial lui échappait. Réfléchir. Son cerveau savait, même si elle avait oublié.
Diane écrasa au creux de sa paume le gobelet en plastique dans lequel ne restait plus qu’une mousse beigeasse ponctuée de petits cristaux de café lyophilisé mal dissous, du plus mauvais effet.
Elle fit un net paquet de toutes les photos étalées, ne conservant que celle de Margaret Faulk, en short et tee-shirt mauves, avançant le long d’une allée de jardin, l’air rêveur, un peu absent. De taille et de corpulence moyennes, les cheveux châtains entretenus par une teinture, coupés au carré, les yeux noisette, un visage plaisant, sans traits remarquables.
Diane fixa le cliché durant de longues secondes, en attendant, elle ne savait trop quoi, une sorte de révélation, peut-être. Elle arracha un dossier de son casier et en extirpa les photos de toutes les victimes. Des photos d’avant. Voir les sourires, les éclats de rire de ces femmes mortes dans d’infinies souffrances, juste parce qu’elles évoquaient autre chose au tueur, à la tueuse, lui tira un soupir de consternation. Durant la demi-heure qui suivit, elle chercha, son regard passant des visages des mortes à celui de Margaret. Barbara Styler, une grande femme puissante, aux épaules bien dessinées, cheveux blancs, ligne prononcée des maxillaires. Michelle Grant, une ravissante miniature, blonde, traits fins et peau laiteuse. Susan Carpenter, un visage dont la sévérité était encore renforcée par des lunettes peu flatteuses, de petits yeux au regard sombre et intense, un grand nez volontaire, un front haut que mettait en valeur une coupe de cheveux très courte. Eve Damont, ses magnifiques cheveux argentés et bouclés, ses yeux bleus, son visage détendu de femme comblée. Emma Crampton, petite, menue, brune, yeux noisette, le regard d’une femme malmenée par la vie que, pourtant, la haine ou l’aigreur n’avait jamais gagnée. Rien de saisissant n’en ressortait. Ces femmes n’avaient rien en commun, si ce n’était leur tueur, ou tueuse. Surtout, rien chez elles n’évoquait Margaret Faulk. Or, et si l’on admettait que Laura soit coupable de ces massacres, si l’on partait du principe que c’était sa mère qu’elle avait voulu faire payer d’horrible façon, cela supposait un déclencheur à sa crise de haine. Elle n’avait pas choisi ces femmes par hasard. Une rencontre, et le déclic s’était produit. Ces femmes étaient devenues le substitut de sa mère. Elle les avait ensuite pistées, avait élaboré son plan avec minutie, avant de frapper. Quel déclic ? Une phrase que sa mère aurait répétée ? Des gestes ? Parce que, à l’évidence, il ne s’agissait pas d’une ressemblance physique.
Exaspérée, la psychiatre jeta un regard sur sa montre. Il était plus de vingt-trois heures. Elle repêcha le portable à carte dans son vieux sac à dos et composa le numéro de Nathan/Rupert.